À l’occasion de la Journée internationale de sensibilisation aux morsures de serpent (ISBAD), notre partenaire Dr Naoual OUKKACHE, chercheuse marocaine de renom et responsable du laboratoire «Venins et Toxines» à l’Institut Pasteur du Maroc, prépare un article sur les risque des morsures de serpents venimeux au Maroc, ci-après les détails :
LES ENVENIMATIONS OPHIDIENNES :
UN DÉFI SANITAIRE SOCIO-ÉCONOMIQUE AU MAROC
Au Maroc, les envenimations ophidiennes constituent un problème de santé publique en raison de leur gravité, de leur morbidité et de leurs répercussions socio-économiques. Considérées comme une « maladie négligée » par l’OMS, les morsures de serpent ne sont pas très fréquentes au Maroc mais mettent en danger la santé et même la vie des victimes.
Chaque année, on dénombre des centaines de morsures qui coûtent la vie à des dizaines de personnes et provoquent des mutilations plus ou moins invalidantes, allant de la cicatrice disgracieuse à l’amputation d’un membre.
Toutefois, ces chiffres sous-estiment largement l’ampleur du problème. La plupart des accidents se produisent dans les zones rurales, loin des structures de santé, et ne sont pas signalés aux autorités sanitaires.
Il faut souligner que le problème des envenimations par les serpents varie considérablement en raison de différences dans la composition des venins, la pharmacocinétique des molécules de venin et donc la symptomatologie, la prise en charge des patients envenimés, les traitements et les séquelles.
Les serpents incriminés dans les cas d’envenimations les plus graves au Maroc sont les vipères Daboia mauritanica, Bitis arietans, Cerastes cerastes et le cobra Naja haje legionis.
Les enfants, principales victimes d’envenimations ophidiennes
Un enfant de 7 ans, originaire d’une zone rurale de la province de Ouarzazate a été mordu par un serpent sur son doigt après avoir inséré sa main dans un trou. Les parents de la victime l’ont emmené au centre de santé de Ouarzazate, ceci, après 2 heures de la morsure (faute de transport), où il a reçu un traitement symptomatique, une dose de l’antivenin Inoserp ainsi qu’un suivi médical mais avec une mauvaise évolution (diffusion de l’œdème avec symptômes vipérins) d’où la décision de le transférer en urgence au CHU de Marrakech qui est loin de Ouarzazate d’environ 10 heures de route, étant donné que l’hôpital dispose d’une unité de soins intensifs et des moyens pour une bonne prise en charge du patient envenimé.
Une fois l’indication d’autres doses d’antivenins établie, le petit patient a reçu des doses supplémentaires, en plus du traitement symptomatique. Mais en vain, l’évolution a été minime, avec l’apparition de complications telles que l’extension de l’œdème jusqu’au coude et l’apparition du syndrome de loge. Le patient est toujours sous traitement intensif.
Ce cas fait partie de centaines, voire de milliers d’enfants au Maroc qui souffrent parfois de séquelles à vie ou meurent après des accidents d’envenimation, en raison de la pauvreté, de la difficulté d’accès aux structures de soins, notamment dû au manque de moyens de transport dans certaines zones rurales, et la non-disponibilité d’équipements médicaux dans les centres de santé, ainsi, la victime doit parcourir de longues distances pour obtenir des soins et des traitements de qualité, une distance qui nécessite des heures de voyage, durant lesquelles le pronostic vital est engagé. De plus, les antivenins disponibles sur le marché ne sont pas spécifiques à toutes les espèces marocaines.
Il y a également un manque d’éducation sur le comportement à adopter au moment de la morsure, qui peut avoir un impact considérable sur le pronostic, et un manque de formation du personnel de santé à la prise en charge correcte d’un patient envenimé.
Par conséquent, et face à l’ampleur de ce problème qui ne cesse d’augmenter, il est impératif d’agir en essayant de trouver des solutions à ce fléau, activer les cadres sanitaires et politiques pour fournir et distribuer des antivenins partout au Maroc, surtout dans les zones à risque, aussi, il est essentiel de trouver des solutions de financement, d’équiper les centres de santé à proximité des zones à risque, d’assurer le transport des victimes, et surtout, de développer des antivenins spécifiques à la faune ophidienne marocaine, car l’antivenin disponible ne semble pas être très efficace, chose sur laquelle le laboratoire des venins et toxines de l’IPM a fait de nombreuses études et expériences qui s’avèrent prometteuses.
Il faut noter que la survenue de ces envenimations se fait principalement dans des régions géographiquement inaccessibles, éloignées, défavorisées et desservies sur le plan « offre de soins». Les cas graves exigent des soins intensifs qui nécessitent un transfert rapide des victimes vers des hôpitaux équipés mais il n’y a malheureusement pas de recours aux moyens de transport dans ces régions.
Actions de sensibilisation : première étape pour faire face au problème des envenimations
Nous sommes entrain d’adopter une action de sensibilisation pour les différents acteurs (politiques et sanitaires) et aussi pour la population, en collaboration avec les médias, la communication avec la presse et une association qui s’intéresse particulièrement au problème des envenimations ophidiennes et scorpioniques au Maroc (www.am3d.ma).
Dans ce contexte, nous collaborons à des programmes visant à réaliser des campagnes de sensibilisation, notamment dans les zones à haut risque, par la réalisation de posters de prévention, informant le public sur les espèces dangereuses et la conduite à tenir face à une morsure de serpent, ainsi que sur les gestes à éviter qui pourraient aggraver la situation initiale. Ces affiches sont placées dans les écoles, les centres de santé, les hôpitaux et les camps de vacances qui ont lieu en été, saison qui marque le pic des accidents dus aux morsures de serpent.
De plus, des interviews en direct ont été réalisées à la radio, où nous avons échangé principalement avec la population qui vit dans les zones à haut risque, et aussi certaines expériences de personnes qui ont déjà souffert d’envenimation, dans le but de prévenir l’occurrence de l’incident. A noter que les gens se fient de plus en plus aux méthodes traditionnelles qu’ils croient efficaces. Les témoignages du public ont été étonnants car la rencontre serpent-Homme se produit très souvent, d’où l’intérêt de propager les mesures préventives dans tout le royaume.
Photo 1 : Invitation de Dr Naoual OUKKACHE, responsable du laboratoire venins et toxines de l’institut Pasteur du Maroc à Radio Aswat pour discuter du fléau des envenimations ophidiennes au Maroc.
Photo 2 : Emission en direct sur Radio Aswat, recevant des appels de personnes vivant dans des régions à haut risque, soulignant les défis et les obstacles à l’accès aux soins après morsure par serpents.
Photo 3 : Second passage en direct sur Radio Aswat, discutant du problème des envenimations ophidiennes avec les acteurs sociaux, afin de trouver des solutions efficaces et des interventions à mettre en place. Lien : https://youtu.be/rq9jMPL5wEo
Stratégie et programme de recherche du laboratoire Venins et Toxines de l’IPM :
Les actions entreprises par le laboratoire « Venins & Toxines » visent la caractérisation exhaustive des venins de serpents et de scorpions marocains afin de répondre à des questions principales importantes :
1) Combien de molécules de venin sont toxiques, létales ou responsables de dommages / dérégulations vitales ? Cette connaissance détaillée des toxines contribuera au développement d’antivenins issus de la biotechnologie et plus performants (spécificité, affinité et capacités de neutralisation).
2) Pourquoi les antivenins conventionnels peuvent parfois échouer à sauver le patient de la mort ?
Nos travaux ont également démontré que l’antivenin provoque la redistribution du venin de la périphérie et donc l’inversion des perturbations causées par la fixation des toxines du venin sur les différents récepteurs et donc la neutralisation des différentes altérations responsables de la mortalité. De ce fait, nous admettons qu’il est essentiel de mettre les antivenins à la disposition du corps médical.